La chronique de Bernard Jullien, directeur du Gerpisa, réseau international de recherche sur l’industrie automobile et conseiller scientifique de la Chaire de Management des Réseaux du Groupe Essca.L’expansion du marché russe cette année est presque symétrique de la déconfiture du marché de l’Union européenne : alors que le Mondial de Paris va s’ouvrir sur fond de baisse du marché VP en France de plus de 14%, le salon de Moscou a fermé le 9 septembre alors que le marché russe (VP + VUL) a cru de plus de 14% au premier semestre. De même, alors que Renault perd presque 20 points en Europe au premier semestre, Peugeot plus de 15 et Citroën plus de 12 alors que le marché ne baisse que de 6,3%, Renault progresse de 28,6% en Russie, Peugeot de 3,7% et Citroën de 39,3%.De manière plus générale, alors que les marques qui font mieux que le marché dans l’UE sont les marques allemandes, Hyundai, Kia, Skoda et Chevrolet, en Russie, le groupe VW a très nettement enclenché l’accélérateur et BMW comme Mercedes font +30% mais Renault et Opel progressent mieux que Hyundai et Ford à peine moins bien. Si tel est le cas, c’est que la demande du marché russe est certes très dynamique pour le premium mais qu’elle l’est aussi pour les véhicules d’entrée de gamme que savent concevoir et fabriquer les grands généralistes européens.Comme l’indique au Monde, M. Migal, un des patrons de Chevrolet :"Grâce à la Logan, le constructeur français a ouvert aux Russes le marché des automobiles étrangères, jusqu'alors inaccessibles".Effectivement, sous l’impulsion de Schweitzer, Renault avait lancé le projet X90 qui devait devenir Logan en pensant d’abord à la Russie. Le français a ainsi initié un mouvement qui consiste à proposer à des ménages russes qui sont peu et mal équipés des alternatives modernes à une offre locale de véhicules peu chers jusque là seule à leur proposer des véhicules dans les gammes de prix qui correspondent à leurs moyens. Chez Renault, les équipes marketing russes ont fait de ces clients qui possèdent des Ladas et ne pourraient les remplacer que par des Ladas si les grands constructeurs mondiaux n’avaient à leur offrir que leurs gammes de produits conçues pour l’Europe Occidentale la cible principale pour la gamme Entry : ils les appellent les "ascensionnistes".Les atteindre est le but des nouvelles gammes que AvtoVaz conçoit avec Renault dont la Logan 2 sera comme le break actuel repris par Togliatti. Mais c’est aussi le socle sur lequel PSA, sur une base pour l’instant encore bien étroite (moins de 3% de parts de marché pour ses deux marques), veut se construire en Russie avec des produits russifiés comme les 408, C4 allongée, 301 et C-Elysée, ses quatre modèles réservés aux pays émergents. Les autres grands généralistes font de même et, à ce jeu, comme il y a vingt ou vingt-cinq ans dans la péninsule ibérique ou comme actuellement en Turquie ou en Algérie, les damnés de la phase actuelle de la vie du marché européen que sont PSA, Renault ou Opel sont plutôt bien armés. En effet, les marchés sont plutôt des marchés "à l’européenne" et appellent des produits conçus sur des bases de véhicules des segments B et C aux motorisations modestes. Ce fût également le mode sur lequel se structura au cours des 20 dernières années le marché brésilien avec des acteurs comme Fiat, VW et GM qui, en l’espèce, s’adossa aux compétences de Opel et non à celles des ingénieries de Dearborn.Renault est en train de revenir dans le jeu brésilien, est très bien parti en Russie et a de très solides atouts autour de la Méditerranée. Comme F. Lagarde l’a souligné en analysant les résultats commerciaux et financiers de Renault en juillet, c’est ce qui sauve Renault cette année et qui lui confère de très sérieux atouts pour rester au cœur de la compétition mondiale dans les années à venir. A l’inverse, Fiat conserve le Brésil mais est en train de rater les opportunités que présentait pour le groupe les autres BRIC. PSA est en Russie comme au Brésil ou en Chine : en hésitant entre l'Entry activable à partir de ses bases claires et reconnues sur le segment B et la fameuse montée en gamme, en ne s’étant pas donné de vraies priorités géographiques et en n’ayant 'e part de ce fait la faculté d’apparaître comme un leader incontournable. Dès lors qu’en Russie, pas plus qu’en Chine ou au Brésil, l’incertain allié GM très solidement aidé par les ex-Daewoo (intégrés dans Chevrolet) se sent pousser des ailes seul et n’aura guère de raison de faire la courte échelle à PSA, le problème de taille va, face aux pouvoirs publics, aux distributeurs et, in fine, aux clients, aller en s’approfondissant face à des concurrents qui progressent aussi vite mais sur des bases infiniment plus larges.Depuis quelques années en effet, les grands européens, autre fois seuls capables d’occuper ces espaces commerciaux émergents, sont face aux Toyota, Nissan et Hyundai-Kia qu’ils n’avaient pas rencontré autre fois en Espagne ou, plus récemment au Brésil. Ils sont en Russie en haut du tableau comme ils sont en Chine ou en Inde. Ils sont - timidement pour l’instant – rejoints par les Geely, Mahindra ou Tata : les places de choix vont être chères et elles exigent des choix pour les acteurs de taille intermédiaire. En effet, si GM ou VW peuvent prétendre être présents presque partout de l’entry au premium, un PSA doit dégager vite des priorités pour que, hors d’Europe, très vite, une position au moins soit sinon inexpugnable du moins solidement acquise. Dans les années 90, après avoir levé le pied à l’international pour reconstruire une position forte en Europe, PSA avait relancé son internationalisation et fait le mauvais choix en privilégiant le Brésil au détriment de la Chine. A voir évoluer le paysage chinois, il n’est pas certain que PSA ne soit pas à nouveau en train de se tromper en mettant ses rares œufs dans un lointain panier percé chinois plutôt que dans un moins profond mais plus solide et plus proche panier russe.

Sources: www.autoactu.com