Sans panneau ni système communautaire pour lui rappeler l'emplacement des radars, l'automobiliste va devoir apprendre à lever le pied. Pour de bon. Raison de plus pour choisir une auto qui entretient l'illusion de la vitesse aux allures réglementaires. Il en va de sa santé nerveuse comme de la sauvegarde de son permis.

Une auto surpuissante n'est pas fatalement le pousse-au-crime qu'on imagine. Il suffit d'une volonté de fer à son pilote pour résister à la tentation de "mettre le pied dedans"

Imaginez. Touché par la grâce, l'automobiliste français trouvera en lui la force de résister à la

tentation. Tentation de mitrailler de ses appels de phares rageurs le Parisien égaré sur la file de gauche depuis quinze kilomètres. Tentation de coller au train du touriste qui cherche son chemin en terre inconnue. Tentation, enfin, de jouer à cache-cache avec les radars malgré la forte probabilité de se faire prendre.

Ah ! Tant de vertu ferait du Français moyen un "automobiliste modèle", par opposition aux "délinquants de la route" que dépeignent avec complaisance nos instances publiques. Malheureusement, tout le monde n'est pas touché par la grâce.

Voilà pourquoi nous avons décidé d'apporter une assistance concrète à tous ceux qui blêmissent à l'idée de se faire bêtement piéger pour quelques kilomètres par heure de trop. Notre idée ? Prendre le contre-pied de tous les essais comparatifs rédigés jusqu'ici et donner la palme — une fois n'est pas coutume — aux voitures les plus bruyantes et les plus inconfortables. Parce qu'une suspension dure comme des noyaux de pèche incite à lever le pied mieux qu'aucun gadget électronique. Et parce qu'un moteur braillard entretient l'illusion de la vitesse. Suivez le guide.

Revenir au temps où "accrocher le 120" était le bout du monde

Inverser l'échelle de nos préférences et accorder la prime à l'inconfort. La belle affaire ! On les connaît les charrettes mal suspendues, les mécaniques violentées et les fauteuils bout de bois.

Un exemple, au hasard ? La Lancia Delta. Ce n'est pas tant sa planche de bord de Fiat Bravo que l'on reproche à cette belle italienne à la plastique avantageuse et au caractère affirmé : ses fauteuils sans relief et dépourvus de tout maintien sont tout bonnement indignes d'une auto dite "premium". Que Lancia se rassure, toutefois. Le nouveau tour de vis réglementaire devrait relancer la carrière de la Delta en France et élargir son audience au-delà du cercle restreint des masochistes délicats du dos.

Pour qui voudrait échapper à la sciatique et s'épargner deux jours d'alitement après chaque départ en vacances, il existe une voie alternative. L'automobiliste français modèle peut fort bien choisir de préserver son confort. A condition de sacrifier son plaisir, sinon ce ne serait pas drôle. La solution ? Mettre un moteur

mou dans une voiture bien suspendue.

Avec une poignée de chevaux, le moindre kilomètre-heure gagné est une victoire

Exemple avec la célèbre Dacia Logan MCV, le break des familles qui ne mettent pas tout leur argent dans leur voiture. Celle-ci pourrait bien devenir, en version essence 1.6 de 84 maigres chevaux, la voiture de "ceux qui ne veulent pas se faire prendre en photo au bord des routes". Quatorze secondes et trois dixièmes pour passer de zéro à cent kilomètres-heure : qui dit mieux ? Cerise sur le gâteau, une Logan MCV s'avère plus bruyante qu'une Renault Megane Estate de dimensions comparables et moins confortable aussi, grâce à ses fauteuils de vieux Kangoo et sa position de conduite non réglable. Tentant.

En revanche, vous voudrez bien noter que, malheureusement, aussi séduisant soit-il, le tout-terrain Dacia Duster reste trop vif, avec son 1.6 essence de 105 chevaux. Seulement 11,8 secondes pour passer de 0 à 100 km/h? Vous n'y pensez pas.

Les exemples abondent de voitures sûres et confortables grevées de mécaniques anémiques. Sans surprise, on les trouve au sommet des tableaux de gamme des constructeurs, en face des prix d'appel. Car ce sont les versions d'entrée de gamme qu'ils dotent du moteur le plus modeste.

Exemple avec la toute nouvelle Chevrolet Aveo 1.2 essence (essayée récemment dans nos colonnes) qui bril

le par la souplesse de sa suspension et son confort, mais pâtit d'un petit moteur essence de 70 chevaux aux reprises atones (0 à 100 km/h en 14,3 s). Mieux, son amortissement légèrement sous calibré génère de jolis mouvements de caisse en virage comme sur mauvais revêtement. De quoi inciter à lever le pied et à attendre patiemment "que cela se passe". Idéal en ces temps de chasse aux excès de vitesse.

Objectif, briser le dos et crever les tympans en moins de cent kilomètres…

Au final, il est plus amusant d'envisager sacrifier non pas son plaisir, mais son confort. C'est l'hypothèse d'une petite voiture agile mais mal suspendue, vive parce que légère mais pas forcément puissante.

Cette description colle parfaitement à la petite Honda CR-Z qui, malgré sa motorisation hybride essence-électrique, sacrifie tout au plaisir de conduire. Y compris le confort. On songe également avec émotion aux élans jouissifs du célèbre roadster Mazda MX-5 dont l'architecture équilibrée et les commandes directes compensent aisément la modestie de la puissance. Un must, pour couple sans enfant seulement.

Le coupé Peugeot RCZ mêle les genres. Trop raffiné et silencieux pour les amateurs de sensations, il s'équipe dans sa version musclée 1.6 THP de 200 chevaux d'un résonateur Sound System. Pour magnifier le chant de sa mécanique sous forte accélération. Cette membrane n'entre en résonance que lorsqu'on écrase la pédale de droite, jamais à vitesse stabilisée. Ce qui constitue d'ordinaire une source de satisfaction pour le pilote en herbe pourrait servir d'avertisseur sonore pour le nouvel automobiliste modèle : le moteur fait subitement "vroum-vroum" ? Vite ! Levons le pied.

Pas sûr que les ingénieurs Peugeot aient envisagé cette utilisation, mais pourquoi pas ? Les règles du jeu ont changé, n'ont-elles pas ?

Elles devraient d'ailleurs vous inciter à regarder d'un œil nouveau la puce des villes que vous méprisiez jusqu'alors, j'ai nommé la Smart Fortwo. La combinaison entre un empattement relativement court et une position de conduite surélevée amplifie le moindre mouvement de tangage et de roulis de la caisse. Toute proportions gardées, c'est comme aborder un ro

nd-point au volant d'une "Quatrelle" ou d'une 2 CV : à 30 km/h, on croit se renverser.

Ces voitures à sensations possèdent néanmoins l'inconvénient de vous contraindre à laisser la famille sur le bord de la route. Voyager sans Belle-Maman, passe encore. Mais abandonner Maman et les gosses, c'est moche. Surtout si c'est elle qui conduit…

Permettez-nous en conséquence de vous suggérer une liste de modèles, disons… plus familiaux. L'automobiliste à la recherche de sensations à basse vitesse donnera la préférence aux véhicules "haut du chapeau" plutôt que surbaissés. En somme, il choisira un Renault Kangoo plutôt qu'une Mégane Estate. De même, il recherchera les suspensions "chewing-gum" et les amortisseurs insuffisants : le père de famille nombreuse préférera ainsi le Volkswagen Multivan oscillant au Renault Trafic Passenger trépidant.

Exception, la Citroen C5. Ce serait une erreur de préférer sa version à suspension hydropneumatique à celle à ressorts classiques : la première fait d'elle un véritable "tapis volant", au volant duquel on ne perçoit plus la vitesse. Piège !

De manière générale, le bon père de famille fera bien de s'intéresser aux voitures de conception ancienne car la mode est, depuis quelques années, à l'affermissement des suspensions et au typage "sport" des châssis. Préférez de la sorte une Peugeot 206§ à une 207; une Renault Clio Campus à une Clio III; une Citroen C3 Classic à la nouvelle C3. Et ainsi de suite.

L'automobiliste modèle devrait par ailleurs se conformer à cette autre règle : toujours favoriser la combinaison entre la jante de plus fort diamètre et le pneu au flanc le plus court. Le style y gagne ce que le confort y perd. Peu importe. De grandes jantes disproportionnées souligneront la race naturelle de la silhouette de votre Kangoo et généreront une résistance au roulement suffisante pour lui couper les ailes sur autoroute. C'est tout ce qui compte.

Une liste non exhaustive Bien entendu, cette liste de modèles doués pour entretenir l'illusion de la vitesse doit être considérée comme non exhaustive. Les modèles retenus se veulent des exemples les plus représentatifs des trois tendances du "trop dur", "trop bruyant" et "trop lent". Voire de la combinaison des trois. Souvenez-vous en outre que derrière la notion de "bruit" se cache deux réalités : le volume sonore (mesuré en décibels) et la fréquence sonore (exprimée en Hertz) qui déterminent grandement notre seuil de tolérance. Ainsi, certaines voitures sont réputées pénibles et fatigantes non parce qu'elles sont plus bruyantes mais parce qu'elles émettent des sons à la fréquence "désagréable". Exemple : le 4-cylindres Diesel Renault 1.5 dCi 85 qui n'affiche pas le même caractère sonore sous le capot des Clio, Mégane et Scénic. Du fait de résonances et d'implantations différentes. Idem avec le 4-cylindres Volkswagen 1.9 TDI qui paraissait infiniment plus rugueux sous le capot d'une Chrysler Sebring que sous celui d'une VW Passat. En somme, il suffirait d'arracher les couches d'isolant phonique de sa voiture et de remplacer ses supports moteurs élastiques par des cales en fonte pour en faire un engin insupportable à la vitesse de 91 km/h. Assez commode, ne trouvez-vous pas?

(automobile.challenges)