Virage, quel drôle de nom. Notre vocabulaire fait rêver nos voisins d'outre-Manche qui n'hésitent pas à y piocher quelques termes et expressions savamment choisis, mais l'émerveillement change tout de suite de coté lorsque ces mots français sont apposés au postérieur d'une Aston Martin. Après les Rapide et autres nombreuses déclinaisons Volante, la marque de Newport-Pagnell ressuscite un autre nom à consonance française pour ajouter un nouveau véhicule à sa gamme, placé entre la confortable DB9 et la sportive DBS. Un nouveau modèle dont les lignes et la fiche technique restent extrêmement proches des deux autos citées précédemment, quitte à attiser certaines critiques à son encontre lorsque les premières photos étaient diffusées peu avant le salon de Genève 2011. Nous sommes donc allés vérifier comment Aston Martin négociait ce Virage sur les routes tortueuses autour de Ronda, dans le sud de l'Espagne.

A coté des Ferrari FF et autres Lamborghini Aventador, Aston Martin créait donc la surprise au début du mois de mars à Genève en dévoilant un nouveau modèle dans sa gamme en plus de la version S de la V8 Vantage. Un nouveau modèle qui adopte un patronyme déjà vu dans l'histoire de la marque anglaise en 1989, un évènement alors pour Aston Martin qui présentait enfin un modèle entièrement nouveau après quasiment deux décennies d'évolution de la très vieillissante V8. La philosophie de la Virage nouvelle est quasiment à l'opposé de cette ainée. Équipée d'un V12 et non plus d'un V8, elle se présente simplement comme un compromis entre la polyvalence d'une DB9 et la sportivité de la DBS, tout en proposant des lignes à mi-chemin entre ces deux modèles pourtant déjà très proches. De quoi permettre aujourd'hui à Aston Martin de revendiquer quatorze modèles différents dans la gamme en comptant les Cygnet, V8 Vantage, V8 Vantage Roadster, V8 Vantage S, V8 Vantage S Roadster, V12 Vantage, DB9, DB9 Volante, Virage, Virage Volante, DBS, DBS Volante, Rapide et One-77. Le constructeur décline à outrance sa gamme de sportives, toutes basées – Cygnet et One-77 mises à part, évidemment – sur la même plate-forme modulable VH inaugurée par la DB9 en 2004. Toutes très proches les unes des autres donc, que ce soit par la fiche technique ou leur physionomie. La question est donc de savoir s'il reste raisonnablement de la place dans cette gamme pour la nouvelle Virage. Rien que pour vos yeuxToutes ces considérations bassement techniques sont immédiatement oubliées lorsqu'on se retrouve en face de l'Aston Martin Virage. La ligne Aston est connue et reconnue depuis le basculement dans l'ère moderne avec la DB7, le choc de la Vanquish puis l'arrivée de la DB9, une auto qu'on peut placer sans trop de débats tout en haut du classement des plus belles GT du monde. Depuis cette DB9, les Aston Martin se ressemblent toutes. Mais même si le peu d'originalité des récentes déclinaisons est parfois critiqué, on se dit que l'immobilisme a aussi du bon lorsqu'il touche un design aussi unique. La DB9 est un modèle incontesté d'élégance et de classe dans le monde de la voiture de sport. Sur le plan visuel, la Virage ne fait que reprendre ses lignes en lui ajoutant une dose mesurée de sportivité sans tomber dans les quelques excès de la DBS, à la robe sexy mais un peu trop chargée. Le résultat sublime ce style Aston contemporain qui fait tant rêver depuis une décennie. Oui, c'est du réchauffé de DB9 mais ici, la recette tend plus vers le parfait confit que le vieux plat resservi dont la saveur s'est évanouie. On tient sans doute ici la plus belle GT de la production automobile mondiale, à vérifier en face d'une Maserati Gran Turismo S.La face avant reprend les feux de la Rapide et le dessin du bouclier est nouveau. Sa partie inférieure est plus agressive que sur la DB9 avec une grosse entrée d'air centrale. Les jupes latérales sont aussi plus marquées et la poupe est virilisée avec un extracteur qui intègre les deux sorties d'échappement. Comme sur la DBS, les feux arrières ne sont pas colorés en rouge. Les jantes sont en 20 pouces et cachent de gros disques de freins en carbone-céramique. En noir avec les étriers en jaune, le look de cette Virage est dramatiquement parfait et son passage dans les rues de Ronda provoque inlassablement de l'émoi auprès des badauds. James Bond lui-même serait probablement troublé par la subtile esthétique de la Virage, équilibre parfait entre la discrétion de la DB9 et la virilité outrancière de la DBS. A l'intérieur aussi, aucune surprise puisque l'habitacle est quasiment identique à celui des autres modèles. La planche de bord est la même que sur la Rapide ou la DB9 à quelques détails près. On retrouve la console centrale massive encadrée par de jolies surpiqûres ( en jaune sur notre premier modèle d'essai, histoire d'être en accord avec la teinte des étriers de freins ) et le design de la clé de contact est toujours un motif d'achat à lui tout seul : le mécanisme de démarrage est plus hype que toute la panoplie de gadgets de James Bond. Pour que le V12 s'anime, il faut introduire la clé – une pièce taillée comme un bijou – au fond de son logement en haut de la planche de bord, puis la pousser en maintenant le pied sur le frein. Ça n'a l'air de rien décrit comme ça mais en vrai, c'est très stylé et la passagère d'un soir appréciera. Les passagers arrière un peu moins sans doute : la Virage se commande au choix en version 2+2 ou en simple deux places pour ceux qui veulent gagner un peu de poids et de rigidité. Ce deuxième choix semble le mieux puisque de toute façon, il sera impossible à un être humain de survivre longtemps aux places arrière tant l'espace est ridicule, pire que sur une Lotus Evora. La Virage s'apprécie en solo ou en duo, mais pas plus.

La Virage dans les virages

Avec un tel patronyme, l'envie de prendre la route est encore plus forte que le désir de rester autour de l'auto pour la contempler. Comme toutes les autres Aston, la portière s'ouvre vers le haut histoire d'en rajouter encore un peu sur le plan du look. La position de conduite est celle d'une vraie sportive, mais elle étonne par son manque d'espace à cause de la grosse console centrale et surtout, de la garde au toit plutôt réduite qui rendra les choses difficiles pour les très grands gabarits. Pas d'inquiétude en revanche si vous avez la corpulence standard d'un agent secret anglais. La position du frein à main surprend et son fonctionnement impose un petit briefing technique : situé à gauche du siège conducteur sur les versions à conduite à gauche, il demande d'être remonté jusqu'en haut avant d'être complétement abaissé dans un mouvement assez mou pour être enlevé. Ce frein à main est une délicieuse exception à la classe avant-gardiste de la voiture, même si d'autres détails comme les quelques aérateurs et boutons en provenance de Ford et de Volvo agaceront probablement certains puristes, qui grogneront aussi sur la qualité relative de certaines parties de la console centrale. Rien de bien méchant, l'ensemble reste magnifique. Le hand-built est toujours de mise et l'habitacle nécessite 70 heures de travail par les spécialistes de l'atelier de fabrication. Quelques millièmes de secondes après avoir appuyé sur la clé de démarrage, le moteur s'ébroue. Tout comme les DB9 et DBS entre lesquelles cette Virage veut s'intercaler, la nouvelle Aston reprend le V12 de 5,9 litres de cylindrée qui sert aux gros modèles de la marque, conçu sous l'ère Ford. La puissance qu'il développe sous le capot de la Virage est à mi-chemin entre la DB9 ( 477 chevaux ) et la DBS ( 517 chevaux ) en restant un chouilla sous la barre des 500 chevaux, avec 497 chevaux à 6 500 tours / minute pour un couple maximum de 570 Nm à 5 750 tours / minute. Les ingénieurs ont tenté de donner un caractère plus sportif au moteur par rapport au set-up de la DB9, à noter que ce choix lui fait perdre 30 Nm comparé à cette dernière, avec un pic plus haut dans les tours. Une fois le moteur animé donc, la sonorité du V12 reste relativement discrète. N'oublions pas que nous sommes dans une Aston Martin et que cela implique de rester smart lorsqu'il faut se rendre au casino ou à l'opéra, il n'est donc pas question de choquer des tympans comme avec sa 599 GTO ou sa Lamborghini fluo. Que les amateurs d'envolées lyriques se rassurent, l'organe placé devant le tableau de bord reste capable de flatter l'audition des passagers comme des passants, dans une tonalité parfois métallique qui le différencie d'un V12 italien. A noter que l'expérience auditive est encore meilleure à bord de la Virage Volante lorsque le soleil est également au rendez-vous. Point de Manettino compliqué dans la Virage qui se contente d'une console centrale pourvue de quatre boutons sur sa partie inférieure. Le premier en partant de la gauche permet de rendre la suspension plus ferme pour la conduite dynamique. Le second active le mode sport de la boîte de vitesses ( une nouvelle transmission automatique Sportshift avec un mode manuel à palettes ), le troisième permet de déconnecter l'ESP pour les plus joueurs et le quatrième cache en fait un stylo ( si, si ), autre gadget sans doute présent ici afin de faciliter la signature des PV pour excès de vitesse après s'être fait intercepter par la police. Bref, les choses sont simples à bord de la Virage : on ne touche à rien pour rouler tranquille et on appuie sur trois boutons pour rouler sport. Il n'y a rien d'autre à faire. La Virage tient les courbes  Tout comme le moteur, le set-up châssis & liaisons au sol est lui aussi défini à mi-chemin entre la DB9 et la DBS. Plus lourde qu'une DBS avec un poids qui flirte avec les 1800 kilos, elle se dote tout de même de freins carbone-céramique en série et de suspensions plus sportives que sur la DB9. Le résultat est une GT qui parvient à cumuler polyvalence et efficacité suffisante, selon l'humeur de son conducteur. Coté ville, la Virage se manie avec une facilité déconcertante et même les dos d'ânes ne lui font pas peur grâce à un splitter avant semble-t-il moins bas que sur la plupart des GT contemporaines. La transmission en mode automatique remplit tranquillement son office, le nouveau système GPS qui se déploie automatiquement est simple d'utilisation et le coffre se montre suffisant pour une utilisation de la vie quotidienne. Quant au système sonore Bang & Olufsen, il comblera les rares passagers qui ne se contentent pas déjà de la musique du V12. Pas de doute, la Virage est clairement au top des sportives vivables tous les jours. Coté route ( sinueuse ) ensuite, la Virage surprend par ses aptitudes tout sauf ridicules : son poids et sa philosophie de GT luxueuse et confortable pouvaient laisser croire à un engin trop pataud pour être amusant en conduite dynamique mais l'Anglaise met à profit ses longues heures passées à se faire secouer sur la Nordschleife par le chef essayeur de la marque, un Ring Meister féru de Porsche GT3 RS : une assurance imparable pour garantir un comportement décemment sportif. Mode sport enclenché pour les suspensions et la boîte, la Virage ne rechigne pas à jouer les ballerines sur les routes du sud de l'Espagne. Autre bonne surprise, la transmission Sportshift disposant d'un vrai mode manuel où les vitesses se descendent avec une rapidité acceptable et où jamais la boîte ne choisit de passer elle-même un rapport lorsque la zone rouge est tutoyée de trop près. En terme d'efficacité et de plaisir, la boite me paraît meilleure que celle d'une Mercedes SLS AMG et au même niveau qu'une S-Tronic d'Audi R8 V10 même si les doubles embrayages façon GT-R restent loin devant. Seul reproche, les palettes fixes dont les oreilles mériteraient d'être un peu plus grosses. Peu importe, le lourd châssis encaisse tout lorsque le rythme s'accélère, y compris les maladresses de son conducteur tant que le bouton ESP OFF n'est pas pressé. Le feeling n'est clairement pas celui d'un gros coupé seulement confortable et cette Virage fait montre d'une agilité enthousiasmante. Comme dans une Nissan GT-R mais à un niveau bien moindre, le poids se fait oublier et les sensations au volant incitent à l'arsouille campagnarde. Les vocalises du V12 sont un autre facteur stimulant et le freinage carbone-céramique permet d'enchainer les lacets aussi longtemps que le permet la contenance du réservoir, fatalement siphonné assez rapidement en conduite rapide ( nous avons mesuré un peu moins de 12 litres / 100 km à rythme légal sur autoroute mais près de 30 litres / 100 km en conduite sportive sur les routes montagnardes au tour de Ronda ). Bref, la Virage n'usurpe pas son patronyme même si elle ne pourra jamais rivaliser en terme de performances – lois de la physique obligent – avec des berlinettes à moteur central arrière comme la Ferrari 458 Italia ou la Lamborghini Gallardo ou des extraterrestres comme la Nissan GT-R. Qu'importe, l'intérêt de la Virage n'est pas là. Après un examen minutieux de son si beau plumage et la satisfaction de constater que le ramage est lui aussi enthousiasmant, il est temps de s'intéresser à la douloureuse. Le design de la Virage la plaçait à mi-chemin entre la DB9 et la DBS en terme de discrétion et d'agressivité. Pour la puissance de son moteur et les réglages de son châssis nous l'avons vu, le positionnement est également à mi-distance entre ses deux sœurs. Tout naturellement, l'équidistance est aussi de mise au sujet de son prix. Alors qu'une DB9 demande un peu plus de 170 000 euros et qu'une DBS exige un chèque à 240 000 euros, la Virage se négocie à partir de 193 700 euros en version Coupé et 207 200 euros en variante cabriolet Volante. De quoi la placer exactement en face de supersportives comme la Lamborghini Gallardo LP570-4 Superleggera, la Ferrari 458 Italia, la Mercedes SLS AMG ou la toute dernière McLaren MP4-12C, toutes plus efficaces que l'Anglaise en terme de performances pures. De quoi faire perdre de l'intérêt à la nouvelle Aston ? C'est tout l'inverse. La Virage représente peut-être la formule parfaite pour une Aston Martin telle qu'on l'imagine. En faisant évoluer par petites touches un style décliné depuis le milieu des années 2000, la marque anglaise a réussi à lui donner ce soupçon de virilité qui manquait dans le dessin de la DB9 sans la faire basculer dans le trop plein d'agressivité de la DBS. Et pour couronner le tout, son comportement dynamique et ses performances sont réellement bonnes sans rien sacrifier au rayon du confort et de la polyvalence. Au final, la Virage est l'expression ultime de la GT utilisable au quotidien, celle qui se refuse à verser dans l'ultra-sport pour rester galante et courtoise avec ses passagers en tout circonstances. Imaginez un smoking souple comme un survet', avec lequel vous pouvez faire votre footing quand vous voulez sans transpirer. Voilà exactement la philosophie de la Virage. Au risque d'être trop parfaite ? Avec trois autos au style et la fiche technique grosso-modo similaire ( DB9, Virage, DBS ), on peut penser que la sélection naturelle par le client risque d'être impitoyable à l'avenir même si Aston Martin annonce vouloir poursuivre la carrière de ces trois modèles en parallèle. La DBS est-elle vraiment plus performante que la Virage ? La DB9 reste-t-elle sensiblement plus confortable par rapport à cette dernière, elle-même déjà très agréable à vivre ? Pas sur que les trois sœurs ( presque ) jumelles puissent cohabiter si facilement. On imagine que ceux qui veulent absolument l'Aston la plus puissante et la plus chère – sans avoir les moyens d'atteindre la One-77 – continueront d'opter pour la DBS et que les moins dépensiers se tourneront vers la DB9 ( à moins de se contenter d'une V8 Vantage ). Mais pour tous les autres acheteurs, cette Virage devrait s'imposer comme un choix incontournable.

Taux d’émission de la version la plus ecologique : 349g

Début de commercialisation : Mars 2011

(caradisiac)

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