Je reste impressionné par la faculté de la Formule 1 à débattre de faux problèmes quand d’autres urgences mériteraient plus de considération. La question du barème est l’une des dernières diversions du genre médiatique, un match entre Ecclestone et Todt dont on connaît fort heureusement le vainqueur. Car le magnat n’a aucune chance face à l’Auvergnat. Cette lutte faussement réformatrice relève non pas de la volonté de faire passer une idée mais simplement d’imposer une vision discrétionnaire. Dicter une volonté personnelle pour asseoir un pouvoir, sinon une autorité : là se mesure la vraie puissance de changement. Dans ce registre, "Mister E" poursuit son idée lumineuse de distribution de médailles, d’un attrait irrésistible pour lui seul. Sans en justifier le moins du monde l’utilité, mais c’est normal il n’est pas habitué à convaincre. Pour en comprendre la genèse, il ne faut pas s’interroger sur le "pourquoi" ni le "comment" de cet artifice mais le "quand". Le presque octogénaire nous avait sorti ce concept après une réunion de grands manitous du sport à Pékin, en 2008, quelques jours avant les Jeux. Impressionné peut-être, jaloux plus sûrement de ce rayonnement universel promis à l'événement, de cette gloire que Phelps se préparait à immortaliser sur papier glacé, avec huit médailles d’or autour du cou... Pour tenter d'élever la F1 au niveau de prestige des Jeux, tonton s'est peut-être mis dans la tête de copier ce raccourci fascinant ; diffuser l'image d'un Hamilton, d'un Alonso plaqué or. Le problème est que l'olympisme n'a pas grand-chose à voir avec le sport motorisé et que les pilotes s'en fichent pas mal des breloques. Beaucoup sont déjà bien embarrassés de recevoir une coupe ridiculement sur-dimensionnée. Vous l'avez souvent constaté, leur truc sur les podiums c'est plutôt le champagne... Un pétillant festif que les solennels Jeux n'ont pas concepté. Deux événements, deux mondes distincts dont Ecclestone a entrepris un vain rapprochement subliminal. C'est bien ainsi, Todt l'a éconduit au détour d'une phrase presque anodine sur le plateau de "F1 à la Une" lors du spécial GP de Singapour, estimant son nouveau barème "très convenant, approprié." Autrement dit : "Circule Bernie, y'a rien à voir !" Et puis, c'est le plus important, la course aux médailles a montré son caractère nocif : elle n'aurait fait qu'avancer la conclusion des derniers championnats. Voilà pour la lutte FOM/FIA. Pour autant, je suis navré de constater que le barème à 25 points n'apporte rien. Il se voulait plus gratifiant pour le vainqueur mais les faits sont têtus. Avec l'ancien système, Webber (202 pts), Alonso (191), Hamilton (182), Vettel (181) et Button (77) seraient aujourd'hui rangés dans le même ordre, étalés dans des proportions comparables (80, 77, 75, 74, 72). Mieux, moins d'une victoire séparerait le 5e du 1er. Jusqu'en 2009, le 1er avait 125% des points du 2e, il en a désormais royalement 138%... En vérité, le seul avantage du système 2010 est de récompenser le 9e et le 10e. C'est louable, mais finalement symbolique. C'était la revendication de Walkinshaw au début des années 2000, et il n'est jamais trop tard pour bien faire. On se souvient que l'ombrageux boss d'Arrows voulait des points pour le top 8 ou le top 10 afin d'apparaître avec quelques unités au Mondial Constructeurs ; de quoi crédibiliser son team. Un argument décisif qu'il n'a pas eu le temps d'expérimenter puisque son équipe a coulé en 2002. Cependant, le barème élargi des six au huit premiers en 2003 n'a pas empêché le nom Jordan de déserter la F1, comme d'autres. Bref, si une distribution de points servait à dynamiser un championnat, à sauver des équipes ça se saurait depuis longtemps. Le ChampCar avait poussé cette démarche en arrosant les 16 premiers, l'auteur de la pole, du meilleur tour en course, le leader le plus assidu si je me souviens bien… Des équipes n'ont pas échappé à la disparation, avant le championnat tout entier ! Moins dramatique mais quand même préoccupante, la situation de la MotoGP, descendue à 17 engagés réguliers -occasionnellement moins- en dépit d'une distribution généreuse pour 15 pilotes. Kovalainen réclame des points pour tous (et surtout pour Lotus), sa démarche à l'opposé de la méritocratie est désespérée. Le fait est que vous pourrez créer ce que vous estimez le barème le plus efficace, restera à voir comment les pilotes l'adopteront. Aujourd'hui, les cinq candidats au titre ne parlent plus de victoire car ils sont obsédés par les fameux "points intermédiaires", plus sérieux viatique pour la gloire.La gloire, ses récompenses... Parlons-en, justement, du trophée des champions du monde Pilotes. Il faudrait commencer par en populariser l'image plutôt que créer des médailles. Car franchement, vous l'avez souvent vu en dehors du gala FIA de remises des prix ? C'est plutôt incroyable de le cacher ainsi, de même que celui des Constructeurs, comme s'il allait prendre froid. En foot, en rugby, la Coupe du monde est offerte à tous les regards en bordure de terrain avant la finale. J'aimerais voir exposés ces trophées à la convoitise, en tête de grille, pendant quelques minutes avant le départ du dernier GP 2010, puisque les championnats ne seront manifestement pas pliés d'ici là…