En Allemagne, grand pays de l'automobile, la voiture de fonction est un avantage en nature très prisé. Quoi de plus désirable, jugent beaucoup de salariés, que de se rendre au bureau dans une berline confortable, entièrement payée par l'employeur ? L'effet prestige est tel que de plus en plus d'entreprises y ont recours pour attirer et conserver les talents. Grâce à un ingénieux dispositif réglementaire, employeur, employé et fisc y trouvent leur compte. Et, pour les constructeurs allemands, c'est un puissant remède anticrise : plus du tiers des véhicules immatriculés en 2012 outre-Rhin ont rejoint des flottes d'entreprise, soit un million de véhicules - dont 87 % de marques allemandes.
Volkswagen, BMW et Mercedes ont leurs modèles ad hoc pour ce marché. Longtemps réservée aux hauts dirigeants, la voiture de fonction s'est fortement démocratisée. 2,4 millions de salariés profitent du dispositif en Allemagne. Certaines entreprises en ont même fait le coeur de leur politique de ressources humaines : le fournisseur de services de télécommunication d'Hambourg Freenet propose ainsi à tous ses salariés un véhicule qu'ils peuvent également utiliser en privé.
L'exemple fait école. Conséquence : alors que le parc automobile global allemand est resté stable depuis dix ans, la part des véhicules de fonction a fortement augmenté. De 23 % en 2002, elle atteint aujourd'hui 32 % du parc. A l'origine de cet engouement, un intérêt mutuel bien compris. Pour les sociétés, il s'agit avant tout de motiver leurs employés et de renforcer l'attachement à l'entreprise. Selon une étude du spécialiste du leasing, Arval, 35 % des voitures de fonction remplissent ce rôle, contre 16 % dans le passé. La raison : "Dans une Allemagne au faible taux de chômage, la voiture de fonction est un atout qui compte dans le choix d'un employeur", explique Sebastian Fruth, directeur clientèle chez Arval.
DES AVANTAGES POUR LE SALARIÉ
L'entreprise en profite pour limiter la hausse de sa masse salariale. Le système du "renoncement de salaire" lui permet en effet de proposer à son employé une voiture de fonction en échange d'une rémunération brute moins élevée. Une partie du salaire est transformée en coût du leasing. L'entreprise fera diminuer ses charges salariales, qui se muent en frais de fonctionnement, plus avantageux fiscalement.
L'employé, de son côté, se voit délesté des frais d'acquisition et d'entretien du véhicule, ainsi que des dépenses de carburant. Il bénéficie de toutes les conditions de leasing réservées à l'entreprise. Il pourra ainsi disposer d'un véhicule de classe supérieure à celle qu'il pourrait se permettre en privé. Et lui aussi bénéficie d'un avantage fiscal : en abaissant son assiette d'imposition, il économise sur ses charges sociales et son impôt sur le revenu, prélevé à la source en Allemagne.
Mais le fisc aussi prend sa part. Le salarié doit déclarer le véhicule comme avantage en nature dès lors qu'il l'utilise pour ses trajets privés. Deux variantes d'imposition sont possibles : au forfait, sur la base de 1 % du prix catalogue du véhicule chaque mois, plus 0,03 % par kilomètre pour les trajets domicile-travail ; ou sur la base du nombre de kilomètres effectués, à partir d'un carnet de trajets. L'économie d'impôt n'est donc pas automatique. La voiture de fonction n'est intéressante fiscalement que lorsque le véhicule n'excède pas un certain prix ou que le salarié habite près de son lieu de travail. Par ailleurs, en raison de la baisse de l'assiette de calcul des cotisations retraite, le dispositif n'est rentable qu'à partir d'un salaire brut de 3 500 euros par mois.
UN MILLION DE VOITURE ÉLECTRIQUE EN 2020
Le système reste suffisamment attractif pour que de plus en plus de salariés y aient recours. Cette évolution a pour conséquence que les flottes d'entreprise ne sont plus composées uniquement de modèles de luxe. Selon les chiffres de la fédération allemande des constructeurs automobiles (VDA), deux tiers des véhicules de fonction sont aujourd'hui des petites citadines ou des moyennes berlines, à 25 %, des classes compactes.
Les flottes d'entreprises allemandes sont d'une importance stratégique pour les constructeurs. Ce marché de niche, pour l'instant protégé de la concurrence étrangère, permet de planifier les ventes grâce aux délais d'amortissement. En 2012, Volkswagen a ainsi pu résister à la crise européenne grâce au succès de ses modèles calibrés "voiture de fonction" comme la Passat (6,8 % des parts de marché) et la Golf (5,3 %). Ces deux modèles sont les préférés des gestionnaires de flottes, selon le classement 2013 de l'institut Dataforce. Les Audi A4 et A6 sont également des classiques, avec plus de 4 % des parts de marché. Chez BMW, c'est la série 3 qui remporte les suffrages.
Grâce au levier fiscal, le gouvernement allemand peut influencer les évolutions technologiques de la branche automobile, la plus importante de l'économie allemande. D'ici à 2020, Berlin veut voir circuler sur les routes allemandes 1 million de voitures électriques. Pour les rendre plus attractives aux yeux des entreprises, le gouvernement étudie des modèles permettant de déduire le prix de la batterie du prix catalogue du véhicule, afin de faire baisser l'assiette d'imposition. "Nous pensons qu'en 2013 la hausse de la demande de véhicules électrique viendra des flottes d'entreprise", estime Matthias Wissmann, président du VDA. "Quelques dizaines de milliers de commandes marqueraient une vraie poussée, qui aurait des conséquences fortes sur le marché privé en 2014."
Source : www.lemonde.fr