Lorsque j’étais tout gosse dans les Montagnes Neuchâteloises, en Suisse, nous partions avec la Peugeot 404 à la tombée de la nuit pour nos deux semaines de vacances estivales sur l’Adriatique. C’était les vacances horlogères, comme on les appelait dans le coin, tout était fermé après les Promotions (fin de l’année scolaire) pendant 3 semaines. Les stores des usines étaient baissés, les machines arrêtées et il devenait même difficile de trouver un magasin ouvert pour s’approvisionner. Il n’y avait pas encore la Migros et les stations-service ne vendaient que de l’essence et le service qui va avec….Alors il fallait partir ou mourir d’ennui.
Mes parents avaient aménagé la banquette arrière de la 404 de telle sorte que nous puissions y dormir avec ma sœur de 3 ans ma cadette. Bien évidemment c’était l’aventure, il faisait nuit lors du départ. Tout le monde était excité pour faire les bagages, ne rien oublier, papa rentrait tard de son cabinet dentaire, il avait faim. Il fallait encore lui donner son sandwiche et une pomme. Il devait mettre son polo bleu pour être en accord avec la couleur de la 404. A l’époque, il n’y avait pas encore de t-shirt. Il fallait aussi ranger méticuleusement les valises en carton dans le coffre. Vérifier le niveau d’eau, de l’huile, la pression des pneus. Et partir enfin pour le périple…
C’était l’aventure, la 404 allait rouler toute la nuit, passer le col de la Vue des Alpes (il n’y avait pas encore de tunnel), traverser toute la Suisse du Nord au Sud, il n’y avait pas encore d’autoroute. Oui nous sommes en 1961. Grimper la nuit les lacets du Saint Gothard. Prendre un café, à la première heure du matin, qui sortait du thermo que tendait maman. Mais bien avant, en haut du premier col, soit après 20 minutes de route, ma sœur avait l’habitude de dire alors qu’elle cherchait son sommeil bercé par les mouvements de caisse de la 404 : quand est-ce qu’on arrive ? Le paternel devenait presque fou, lui qui devait encore conduire après une dure journée de travail pendant au moins 16 heures et en non stop pour ne pas nous réveiller. Alors d’un ton sec, il disait, « dors » !
Par contre arrivé en Italie au petit matin, et je savais que nous étions en Italie. En ouvrant un œil encore un peu abruti par le bruit du moteur un peu trop industriel de la 404, je regardais le ciel azzuro, le bleu était différent comme celui du maillot de l’équipe de foot italienne. Alors progressivement je levais la tête. Je regardais les roseaux de la plaine du Pô. Il y avait aussi l’autoroute, j’étais fasciné pas la vitesse des voitures qui nous dépassaient. Et quand je voyais une Ferrari ou une Maserati, je savais qu’il fallait bien rester sur la file de droite, sinon c’était la fanfare de klaxon à deux tons, oui à cette heureuse époque, il n’y avait pas encore de cette foutue limitation de vitesse. Certaines fois le souffle d’une Ferrari venait perturber la trajectoire de la Peugeot 404, qui elle, commençait à faiblir. Oui papa conduisait depuis le soir à 22h00, sans arrêt sauf pour faire le plein avec les bons à essence.
Ma sœur, elle dormait encore, alors il ne fallait pas que je bouge trop pour regarder les Ferrari et autres voitures de sport italiennes. C’est aussi là que j’ai vu les premiers cabriolets. Vous pensez, à 1000 mètres d’altitude dans le Jura Neuchâtelois, c’était aussi rare qu’un cachalot dans un lac Suisse. Je devais faire attention de ne pas réveiller ma sœur, car elle allait obligatoirement reposer cette ignoble question. Et je crois bien que mon papa aurait stoppé net la 404 et nous aurait demandé de continuer à pied ! Nous étions déjà sorti de l’autoroute Del Sole et les derniers kilomètres avant Rimini sentaient déjà bon la mer, j’étais tout fou car je pourrais enfin me baigner dans la Grande Bleue, aller pêcher, manger une gelato pistache chocolat et aussi bien sûr faire le tour des voitures italiennes que je n’avais jamais vues en Suisse. Je connaissais déjà tous les modèles et savais par cœur jusqu’au allait le maxi du compteur. Ma surprise a été de voire une Ferrari rouge avec un compteur gradué jusqu’à 300 m/h. Pauvre 404 avec son compteur longitudinal avec son max à 170 km/h. Je pense, non je ne pense pas, je suis certain que l’amour des belles bagnoles m’est venu de ces voyages annuels en Italie. Du reste ma première ancienne a été une Lancia Fulvia Coupé 1.3 S, bella machina.
Pierre-Yves Augsburger