Si d'aucuns estiment que le secteur automobile a de beaux jours devant lui, peu se risquent à donner des prévisions à moyen terme quant à sa réorganisation et en particulier sur l’impact des nouveaux entrants sur le marché. La multiplicité des profonds bouleversements en cours (organisationnels, technologiques, fiscaux, environnementaux) ne doit cependant pas faire oublier que, comme d'autres secteurs, le nouveau paradigme automobile s’inspire chaque jour davantage des nouvelles habitudes de consommation induites par les phénomènes communautaires.
Le code et l'acierCela paraît délirant de penser que quelques lignes de code informatique pourraient rivaliser avec l’apport de générations de chercheurs, le dévouement de centaines de milliers d’ouvriers et d’ingénieurs, des usines imposantes ou la structure incontournable des réseaux de vente et de réparation. Il est en effet coutume de penser que plus un secteur est lourd et complexe (au sens quasi industriel du terme) plus les barrières à l'entrée sont hautes, voire infranchissables. Il n'en est rien, bien au contraire. Les judokas, dont la discipline est basée sur la souplesse et l'adaptation le savent: plus un adversaire est lourd, plus sa chute le sonne. Des signes annonciateursAprès l'industrie séculaire de la connaissance, et en premier lieu les recueils encyclopédiques, mis KO par Wikipédia en quelques années, le web s'attaque aujourd'hui et sans complexe aux secteurs nécessitant des infrastructures de plus en plus lourdes. Jeremy Rifkin, dont la présence est très attendue la semaine prochaine au Luxembourg, va une nouvelle fois démontrer que les grands fournisseurs d'énergie vont devoir compter avec la mutualisation des ressources créées par les particuliers ou les bâtiments, mettant en réseau et donc sur le marché le surplus d'énergie produit. Ici et ailleurs, les réseaux hôteliers font face aux 10 millions de nuitées vendues en 4 ans entre particuliers rien que sur Airbnb. L’audiovisuel, autrefois oligopolistique, voit aujourd’hui l’arrivée de milliers de compétiteurs autour de Youtube ou de Netflix... Aucun secteur n'a donc de résilience assurée dans 5 ans, et surtout pas ceux nécessitant des investissements lourds.Connaissance, habitat, énergie,... et aujourd'hui, la mobilité ?Les taxis ont été les premiers à faire les frais d'Uber. Local Motion offre de faire baisser la taille des flottes de 30%, et Getaround annonce que chaque "Getaround car" en retire 10 autres de la route. Carrot, Drivy, RelayRides, et des centaines d’autres suivent. Car à l'aube de l'économie circulaire, chaque objet non utilisé ni réutilisé coûte cher, trop cher. Or, une voiture demeure immobile 96% de son temps de vie, et son taux de remplissage moyen n’est que de 30%. On parle ici d'habitudes de consommation d'objets ou d'infrastructures dont la valeur décroît avec le temps, dans un monde qui cherche a optimiser chacune des ses ressources. "Less cars on the road" : pas forcément.Non, il ne faut pas pour autant acheter comptant les arguments de startups qui pensent qu'une voiture en carsharing en remplace dix autres. Mais il faut également admettre qu'il est aussi sain pour une entreprise de louer des bureaux en les laissant vides que de laisser des véhicules inutilisés au parking alors qu'elle pourrait les louer. Pas forcément rassurant pour l'écosystème des fournisseurs fleet a priori, sauf à adapter en conséquence des business models et des centres de compétences qui seront demain différents. Bien sûr, il y a aussi les changements induits par l'arrivée de nouveaux partenaires industriels classiques ou néocclassiques : Qoros collectionne les 5 étoiles euroNCAP, Tesla qui s'attaque désormais au fleet, Google dont les voitures sans chauffeur sillonnent la Silicon Valley. C'est en volume marginal, mais cela accompagne une tendance lourde : l'automobile change, et son mode de consommation encore plus. Penser clientEn marge de l’ensemble des théories marketing cherchant leur légitimité, la constante "Pensez client » demeure, tout comme les conseils des anciens "une vente est une bonne vente lorsque le client est heureux". Anticiper aujourd'hui les produits et services qui rendront un client heureux dans trois ans est de plus en plus compliqué, et de nouvelles habitudes de consommation se dessinent. L'idée n'est donc pas de freiner les changements en cours, mais de s'y préparer. Il y aura plus de voitures sur les routes dans 10 ans, tout le monde est d'accord, mais avec des modes d'acquisition et de consommation différents.Servir les intérêts de ses clients demande de les sortir de leur zone de confort si on estime que celle-ci est menacée. Il est urgent aujourd'hui de préparer les nouveaux enjeux de mobilité, quitte à changer radicalement soi-même de business model ou de mode de distribution. Veille technologique, centricité client et diversification semblent plus que jamais à l’ordre du jour.Et la voiture passion dans tout ça, le user chooser, et tout ? Personne n'a dit que le client final n'aurait pas le dernier mot, bien au contraire.Fabien Amoretti