La chronique de Bernard Jullien, directeur du Gerpisa, réseau international de recherche sur l’industrie automobile et conseiller scientifique de la Chaire de Management des Réseaux du Groupe Essca.Passé un peu inaperçu dans l’actualité automobile de l’été, l’épisode très conflictuel de la vie de la jeune alliance Suzuki-VW était au centre des commentaires au Japon en juillet. Il a continué d’être assez largement scruté en août.Rappelons que VW et Suzuki s’étaient rapprochés fin 2009. On avait alors vu VW prendre 19,9 % du capital de Suzuki pour 1,7 milliard d’euros. En retour, Suzuki devait à son tour rentrer au capital du groupe de Wolfsburg. Etant données les complémentarités technologiques et géographiques entre les deux entreprises, les analystes n’avaient guère eu de mal à trouver les arguments justifiant l’opération. Ils avaient toutefois eu tendance à regarder très volontiers le dossier à partir des intérêts de Volkswagen et à faire comme si il s’agissait là d’une flèche supplémentaire – indienne - ajoutée dans le carquois, déjà convaincant, des équipes de Piech.On avait alors justement souligné que l’un des actifs clés du petit mais prospère Suzuki était Maruti qui est en Inde l’acteur dominant alors que VW, très puissant dans les BRIC et, en particulier, en Chine et au Brésil a, comme la plupart des grands occidentaux, de la peine à s’y doter de positions solides. On avait de même évoqué l’expertise de Suzuki dans le domaine des voitures compactes telles qu’on les conçoit en Asie. On n’avait pas alors prêté suffisamment attention au fait que, loin de dessiner les prémisses d’une acquisition de Suzuki par VW, l’accord signé entre eux les mettait à parité et préservait très largement l’autonomie stratégique de Suzuki. A l’époque, le directeur général de Suzuki s’était employé à souligner que c’était Volkswagen qui avait approché Suzuki, ajoutant que Suzuki n’allait pas devenir la 12ème marque du groupe allemand.Depuis 2009, le monde de l’automobile attendait en vain que les premiers fruits de ce rapprochement apparaissent et, à force de les attendre, avait presque fini par oublier qu’il avait eu lieu. Et il a effectivement fallu attendre cet été pour que l’on reparle de ce dossier pour constater justement que non seulement les coopérations progressaient très mal mais que un vif conflit opposait les deux managements sur le sens qu’il convenait de donner à l’accord. Côté VW, il était semble-t-il question d’auditer l’accord et de rechercher les moyens de lui donner enfin un peu plus de contenu. Certains membres du directoire avaient parlé à la presse pour s’émouvoir de ce que les 1,7 milliard dépensés n’apportaient pas grand chose et, comble de maladresse, dans son rapport annuel aux actionnaires, VW annonçait que ses dirigeants s’emploieraient à exercer une plus grande influence sur le management de Suzuki.Rompant une très forte culture de la discrétion et du consensus, le VP exécutif de Suzuki, Yasuhito Harayama a alors déclaré : "Il était très clair quand nous avons signé avec VW que nous ne voulions pas être consolidé et que nous resterions indépendant. Nous considérons qu’il nous faut revenir au point de départ, y compris en ce qui concerne les parts acquises dans le capital. L’accord sur le fait que nous sommes deux entreprises indépendantes et des partenaires à parité est un prérequis absolu pour poursuivre quelque coopération spécifique que ce soit."Il a ajouté que cette indépendance préservait la capacité de Suzuki de coopérer avec d’autres constructeurs – dont Fiat avec qui Suzuki venait de renouveler son accord sur la fourniture de moteurs diesel – et a indiqué que, avec VW, aucun développement conjoint de technologies ou de véhicules n’était pour l’instant au programme.De manière plus informelle mais très retentissante, sur le Blog qu’il tient sur le site de l’incontournable quotidien économique Nikkei, Osamu Suzuki, 81 ans, patron de l’entreprise et époux de la petite fille du fondateur, a écrit un post incendiaire à la mi-juillet.On y lisait :"Dernièrement, les dirigeants de Volkswagen assurent à leurs actionnaires que Volkswagen peut influencer largement la politique d’entreprise de Suzuki. Je ne suis pas très à l’aise vis à vis de cette affirmation, étant donné que nos deux entreprises ont accepté de rester indépendants et sur un pied d’égalité lorsque nous avons signé l’accord de partenariat. Puisque les deux sociétés sont de tailles très différentes, les gens de Volkswagen ont pu acquérir l’impression erronée que Suzuki rentrerait dans leur giron. Il n’en est rien. Suzuki a signé l’accord sous la condition d’être partenaire à égalité.""Est-ce que Suzuki fait face à des difficultés immédiates ? Absolument pas. Nous avons pris connaissance des technologies de Volkswagen, mais n’avons rien trouvé de suffisamment intéressant pour être adopté immédiatement (1). Suzuki travaille sur ses propres technologies vertes. Nos ingénieurs acquièrent plus de capacités que je ne m’y serais attendu et développent des technologies étonnamment performantes.""Pour l’instant, et particulièrement pour les marchés importants comme les petites voitures et le marché indien, nous ne sommes pas pressés de collaborer avec Volkswagen.""Si nous avions besoin d’une technologie quelconque, nous avons la possibilité de demander à d’autres constructeurs avec lesquels nous bénéficions d’échanges de technologies. La fourniture de moteurs diesels par Fiat, qui vient d’être annoncée, en est un exemple. La course à la technologie s’intensifie dans l’industrie automobile. Le modèle de la simple participation au capital pour prendre le contrôle d’un autre constructeur ne pourra plus marcher."Même si on a ensuite pu lire des déclarations en août qui indiquaient qu’il n’était pas question de part et d’autre de mettre un terme à l’accord, les choses paraissent bien mal engagées. De ce point de vue, la dernière phrase de Osamu Suzuki est à méditer par les dirigeants de VW et d’autres. En effet, le développement en cours de l’automobile dans les BRIC, en Thaïlande, en Malaisie, en Iran ou ailleurs ne peuvent plus être conçu culturellement sur le mode impérial pas plus qu’ils ne peuvent être géré organisationnellement sur le mode de l’intégration dans une grande machine gérée depuis Wolfsburg, Detroit ou Paris. Les géants mondiaux de l’automobile se doivent aujourd’hui de développer de véritables diplomaties industrielles aptes à convaincre qu’ils sont des partenaires crédibles du développement des entreprises et territoires. Ils doivent de même faire preuve de l’inventivité organisationnelle nécessaire pour rendre les arbitrages entre autonomie et intégration de manière beaucoup plus fine : il ne s’agit plus en effet de porter la bonne parole industrielle et technologique dans les territoires nouveaux d’implantation mais de s’y intégrer en profitant d’un point de vue sur les marchés, les produits et les manières de produire décalés et novateurs par rapport à ce que l’on croit vrai d’habitude. Sur ces terrains d’évidence, VW a du chemin à faire.(autoactu)