Il y a vingt ans jours pour jour, Michaël Schumacher disputait son premier Grand Prix de F1 à Spa-Francorchamps, où il reviendra ce week-end. Entre-temps, l'Allemand s'est hissé au range de légende vivante de son sport, accumulant sept titres avant de prendre sa retraite et de revenir pour une seconde carrière.
15 août 1991. Bertrand Gachot, pilote Jordan, est condamné par la justice anglaise à 18 mois de prison ferme pour avoir aspergé, quelques mois plus tôt, un chauffeur de taxi londonien avec une bombe lacrymogène après une altercation qui a dégénéré. Dix jours avant le Grand Prix de Belgique, Eddie Jordan doit lui trouver un remplaçant au pied levé. Il opte pour un Allemand de 22 ans dénommé Michael Schumacher, convaincu par le bagout du manager de ce dernier, Willi Weber, et surtout par un gros chèque de la puissante écurie Sauber-Mercedes, top-team du Groupe C dont le jeune pilote est l'un des meilleurs espoirs en vue d'un futur programme F1.
Le rookie ne rate pas ses débuts. Qualifié septième sur un circuit qu'il découvre (au volant d'une monoplace certes capable, aux mains d'Andrea de Cesaris, d'inquiéter la McLaren d'Ayrton Senna), Schumacher marque immédiatement les esprits par sa science du pilotage et de la mise au point, malgré un abandon aux bouts de quelques tours, embrayage brisé. Flavio Briatore voit en lui le pilote idéal pour compléter la dream team qu'il est en train de mettre sur pied chez Benetton.
La trésorerie de la jeune écurie Jordan ne peut rivaliser avec celle de la danseuse du géant textile italien. Schumacher oublie l'Irlandais et signe chez Benetton-Ford, dont l'auto lui permet de remporter sa première victoire à Spa en 1992 et de terminer à la troisième place du championnat, derrière les intouchables
Williams-Renault de Mansell et Patrese, et devant les McLaren-Honda de Senna et Berger. Son coéquipier, le rapide et expérimenté Martin Brundle, termine sixième du championnat et n'est pas reconduit par Benetton. Quatrième en 1993 (après une deuxième victoire à Estoril), le petit prodige de Kerpen éclipse un autre coéquipier, Riccardo Patrese, vice-champion du monde l'an passé.
En 1994, le duel annoncé entre le jeune loup irrésistible et le meilleur pilote du monde, Ayrton Senna (McLaren), tourne court le 1er mai 1994 lorsque le Brésilien se tue à Imola au volant de sa Williams. Privé de son prestigieux rival, l'ogre en devenir s'en découvre un autre, plus inattendu. Regardé de haut par son écurie et par le paddock comme le "fils de" porteur d'eau de Senna, le Britannique Damon Hill fait mieux que se montrer à la hauteur des événements. Schumacher doit en outre subir les foudres de la FIA qui, doutant de la conformité de la très performante Benetton, le pénalise à la moindre occasion à défaut de trouver des preuves. Absent de quatre courses pour cette raison, l'Allemand parvient à décrocher le titre lors de l'ultime Grand Prix à Adelaïde. Sa première couronne est cependant entachée par le vilain coup de roue qui lui a permis d'expédier Damon Hill dans les graviers au moment où celui-ci allait le doubler. La réputation de Schumacher, qui passe déjà dans l'inconscient collectif pour avoir volé un titre au fantôme de Senna, en sera durablement ternie.
En 1995, la Benetton troque son V8 Ford pour le V10 Renault qui fait les beaux jours de Williams depuis trois ans. Fort de 9 victoires sur 17 Grands Prix, le champion en titre, dont la monoplace est cette fois largement au-dessus du lot, s'impose sans discussion possible avec presque moitié plus de points que Damon Hill. Avec Johnny Herbert, quatrième au championnat, il offre en outre le titre constructeurs à son écurie, battue par Williams l'an passé.
Schumacher a alors rejoint Ascari, Clark, Hill (Graham) et Fittipaldi dans le cercle très fermé des doubles champions du monde. Plutôt que de rester chez Benetton où il a l'assurance de disposer d'un matériel compétitif, il choisit le panache d'un nouveau défi : ramener Ferrari au sommet. Seule écurie présente au premier Grand Prix de F1 de l'histoire en 1950, la mythique Scuderia n'a plus eu le moindre titre à se mettre sous la dent depuis Jody Scheckter (1979). Même Prost n'a pas réussi à tirer la Rossa de sa torpeur. Schumacher est cependant séduit par le projet de Jean Todt, nommé en 1993 directeur sportif de Ferrari après une décennie de succès en rallye, rallye-raid et endurance à la tête de Peugeot Talbot Sport. Au cours de la saison 1996, le Français dépouillera aussi Benetton des ingénieurs Ross Brawn et Rory Byrne, reconstituant la dream-team d'Enstone à Maranello.
1996 ne doit être qu'une saison de transition. Sur le papier, la Ferrari ne vaut rien face aux Williams, aux Benetton et aux McLaren. Peu importe : Schumacher transcende les faiblesses de sa monture et décroche deux victoires, terminant troisième du championnat derrière les inaccessibles Williams de Damon Hill et Jacques Villeneuve avec presque six fois plus de points que son équipier Eddie Irvine. En 1997, la Ferrari a progressé mais reste nettement inférieure à la Williams de Jacques Villeneuve. La combativité de Schumacher, qui a gagné la saison passée son surnom de "Baron rouge", fait la différence. Toujours en lice pour le titre lors du dernier Grand Prix, il voit Villeneuve le passer à un freinage et ne peut réprimer un mauvais coup de volant. Le même qu'en 1994 contre Damon Hill, à cela près que l'Allemand est cette fois le seul à terminer dans le bac à sable. Vice-champion du monde aux points, il est disqualifié par la FIA pour ce coup bas. Cet épisode peu reluisant, sans doute celui qui a le plus écorné son image, conforte définitivement ses détracteurs.
En 1998, Schumacher fait à nouveau figure de challenger. Il poursuit son duel à distance avec l'ingénieur Adrian Newey, concepteur des Williams des années 1990 passé chez McLaren. Tirant parfaitement parti de la nouvelle réglementation et de ses pneus Bridgestone, la superbe MP4/18 plane à cent coudées au-dessus du peloton. A force de travail, Ferrari et Goodyear parviennent à talonner McLaren en fin de saison, mais Schumacher, trahi par sa monoplace, doit laisser une nouvelle fois le titre dans la dernière course à Mika Häkkinen. En 1999, alors que la Ferrari a encore progressé, il se brise les jambes à Silverstone et doit passer l'été loin des circuits, laissant son lieutenant Irvine devenir le fer de lance de la Scuderia. L'Irlandais ne réussira pas à saisir a chance de sa vie, mais les deux pilotes offrent à leur écurie son premier titre constructeurs depuis seize ans, en particulier grâce au retour tonitruant d'un Schumacher affamé sur les dernières courses de la saison.
2000 voit enfin la consécration arriver. Avec une F-2000 cette fois dans le coup dès le début de la saison, Schumacher se livre à un nouveau duel avec son meilleur ennemi Häkkinen. Alors que tous les espoirs sont encore permis durant l'été au Finlandais, auteur notamment d'une manœuvre mémorable sur Schumacher à Spa, ce dernier écrase la fin de saison et décroche le Graal, un titre avec Ferrari. Redevenue la superpuissance de la F1 qu'elle n'aurait jamais dû cesser d'être, l'écurie remportera ensuite tous les titres en 2001, 2002, 2003 et 2004 avec son pilote fétiche, qui fait exploser les statistiques et s'empare des records établis par Fangio, Senna et Prost.
Deuxième carrière en grisSon septième titre restera cependant le dernier. Ferrari rate sa monoplace en 2005 et laisse Schumacher simple spectateur de la lutte entre les jeunes Fernando Alonso (Renault) et Kimi Räikkönen (McLaren), malgré une course de toute beauté à Imola. En 2006, Schumacher doit s'incliner face à Alonso, trahi par la fiabilité de sa monture pour la première fois depuis des années. Jean Todt sur le départ, Schumacher annonce sa retraite en fin de saison, poussé par Luca di Montezemolo qui souhaite faire de la place à Räikkönen aux côtés de Massa.
Mais le cœur n'y est pas. Toujours consultant de luxe pour la Scuderia et participant à la mise au point des Ferrari de route, le septuple champion du monde profite de sa retraite mais on le sent bien en manque d'adrénaline. Karting, moto, rien n'y fait. En plein été 2009, le paddock est en plein émoi : "Schumi" est pressenti pour remplacer Massa, blessé en Hongrie après avoir pris un boulon dans la visière à 250 km/h. En proie à des douleurs cervicales après une chute à moto, Schumacher commence à s'entraîner mais renonce, la mort dans l'âme. Il franchit le pas quelques mois plus tard, cédant aux sirènes de Mercedes. Le constructeur allemand vient de racheter Brawn, écurie championne en titre, et d'engager Nico Rosberg. L'occasion est trop belle pour Schumacher de retourner aux sources, de courir pour la marque qui l'a formé au sein d'une Mannschaft à forte tonalité allemande, tout en retrouvant Ross Brawn avec qui il a décroché tous ses titres.
Hélas, il doit bien vite oublier son rêve d'un retour à la Lauda. L'auto a perdu toute la compétitivité de son ancêtre et ne peut suivre le rythme des Red Bull, McLaren, Ferrari, voire Renault. A 41 ans, Schumacher lui-même est rouillé et souffre de la comparaison avec son jeune équipier. Il réalise cependant une deuxième partie de saison honorable, mais ne termine que neuvième du championnat avec deux fois moins de points que Rosberg (septième). Compte tenu de la médiocrité de la Mercedes et de la valeur de son coéquipier, Schumacher n'a pas à rougir de son bilan. Mais c'est Schumacher... Beaucoup s'étaient bien sûr pris à espérer que le vieux sage vienne donner la leçon à des Vettel ou Hamilton dont il pourrait être le père, ou tout au moins qu'il puisse prétendre régulièrement à la victoire grâce à sa science de la course. Ce retour décevant n'a pas empêché Schumacher de persister en 2011, sans beaucoup plus de succès malgré une saison bien plus consistante par rapport à Rosberg. La rumeur du paddock a dernièrement relayé les doutes du Kaiser sur son avenir en F1. Il s'est empressé de réaffirmer qu'il serait là et bien là en 2012.
(autonews)