Lancia Thema et Sergio Marchionne, même combat ! L'une et l'autre sont à l'image de ces Italo-américains qui souffrent d'être assimilés aux mafiosi : ils doivent en faire deux fois plus pour être pris au sérieux. Et cela paie ! La Thema est sans doute la Lancia la plus charismatique depuis la Delta Intégrale.

J'ai conduit une voiture à sensations. Sensation chez les passants qui tordent le cou pour mieux la voir glisser dans la rue. Sensation chez les passagers qui hument les effluves du cuir pleine fleur qui habille sa planche de bord.

Sensation de déjà vu pour certains, mais fascination tout de même. Car cette concurrente des BMW Série 5 et Mercedes-Benz Classe E ne ressemble à aucune autre berline. Dedans comme au dehors.

Tut, tut ! Je vois venir les mauvais esprits. Oui, la Lancia Thema revêt une autre identité outre-Atlantique et outre-Manche, où elle s'appelle tantôt Chrysler 300 et 300 C. Mais l'une comme l'autre diffèrent totalement de la Chrysler éponyme commercialisée en France jusqu'il y a deux ans. Au regard de sa structure 100 % nouvelle, de sa robe et de son intérieur inédits, la refonte est totale.

Une originalité assumée

Faites abstraction de ce cousinage américain et la Thema vous révèlera des atouts qui en font la digne héritière de la sculpturale Thesis. Une "vraie" Lancia, en somme, qui transpire le Chianti et fleure bon la mozzarelle.

Ceux qui se montrent insensibles à cette poésie gourmande préféreront voir dans la silhouette baroque de la Thema le post-modernisme américain plutôt que le classicisme italien. A leurs yeux, cette grande berline dégingandée ressemble à une nageuse américaine débarquant chez un parent qu'elle se serait subitement découvert en Italie. Le choc culturel.

On comprendra par conséquent que les opinions divergent à l'endroit de la Thema. Lancia ne s'en offusque pas car elle sait que seule une originalité assumée offrira à sa berline une chance de prospérer à l'ombre des trois grandes marques de luxe allemandes qui occupent 87 % du marché des grandes routières. Quitte à ce que la Thema ne plaise pas à tout le monde.

La Lancia Thema ignore ostensiblement les envies de conformisme de "Monsieur Tout-le-Monde" et ravit les individualistes que le triste uniforme d'une BMW, d'une Audi ou d'une Mercedes-Benz ne saurait satisfaire : typiquement, les acheteurs de Volvo S80 et de Jaguar XF. Deux modèles qui, bon an mal an, s'écoulent à quelque quatre à cinq cents exemplaires chaque année en France. Sans oublier une poignée d'Infiniti et de Saab.

Une grande routière à part

Trop toc et pas assez chic, la Lancia Thema ? Ceux qui rêvent d'une limousine assemblée et finie à la main peuvent passer leur chemin : la Thema a beau jurer parmi le flot gris des grandes routières tel un costume en velours orange dans la penderie d'un banquier, elle n'en est pas moins un produit de grande série. Maserati peut dormir tranquille. De même, si vous ne roulez en BMW que pour la satisfaction de savoir qu'elle ne partage sa mécanique avec aucune de ses concurrentes, vous vous exposez à une déconvenue avec la Lancia.

A quelques menus détails près, la Thema du troisième millénaire reprend tout de la nouvelle Chrysler 300, revue de fond en comble. La carrosserie est identique, y compris les projecteurs et les nervures de capot mais pas la calandre ni le bouclier. La planche de bord et la sellerie sont les mêmes, mais pas le volant cuir et bois, propre à l'italienne. La structure modernisée comme les transmissions et les suspensions sont communes, mais pas les ressorts et les amortisseurs, raffermis pour l'Europe.

Le six-cylindres Diesel de la belle et plantureuse Lancia est une mécanique italienne signée VM Motori et Fiat. On la retrouve sous le capot du Grand Cherokee. Quant à son six-cylindres essence Pentastar de3,6 litres, tout nouveau, tout beau, il anime une flopée de véhicules Chrysler, Dodge, Lancia et Fiat sur tous les continents. Il sera couplé à une boîte automatique ZF à 8 rapports dont bénéficient déjà BMW, Rolls-Royce, Audi, Jaguar, et Land Rover.

Le meilleur de l'Amérique et de l'Italie

Heureusement pour elle, la Thema n'avait pas besoin d'être entièrement conçue en Italie pour se prétendre une authentique Lancia. Pas plus qu'une Audi doit taire sa parenté avec Volkswagen pour justifier son prix. Ce qui motive l'acheteur de voitures de luxe est autant la satisfaction de s'approprier un blason prestigieux que le plaisir de s'offrir une automobile soignée et performante.

Soignée, la Lancia Thema l'est assurément. L'harmonie des couleurs, le clinquant des compteurs ouvragés telles des montres et la veine apparente du bois composent une ambiance chaleureuse, que l'on comparera plus volontiers à celle d'une Jaguar ou de feue la Thesis qu'à celle d'une Mercedes-Benz. Les aficionados regretteront que l'Alcantara n'ait pas droit de cité dans cet habitacle figé avant que Fiat n'ait eu le temps d'infléchir les choix de style. Même les sièges en cuir partiel nappa sont repris tels quels de la 300 : leur flancs tendus de vinyle feront grincer des dents des propriétaires de Thesis habitués au cuir Poltrona Frau intégral.

Performante, la Lancia Thema l'est aussi. Son V6 Diesel 3.0 Multijet décliné en deux puissances de 190 ch et de 239 chevaux lui permet de tenir aisément son rang. Grâce à un couple de respectivement 440 Nm à 1.600 tr/min et de 550 Nm à 1.800 tr/min, la Thema Diesel gomme la perception de sa masse de près de 2 tonnes (0 à 100 km/h en 9,7 s et 7,8 s). Sa consommation moyenne s'établit en cycle mixte à 7,1 l/100 km et à 7,2 l/100 km selon que la voiture chausse des pneumatiques de 18 ou de 20 pouces (185 et 191 g/km de CO2).

Dotée d'une direction plutôt précise quoique peu informative, la Lancia Thema accepte de hausser le rythme sur petites routes. On place aisément cette grosse auto en virage mais on hésite à explorer les limites de son adhérence. Question d'habitude.

Au regard de la fluidité de fonctionnement de la boîte ZF à 8 rapports (attendue sur la variante essence de 286 ch), la boîte 5 de la Thema Diesel passe pour lente et abrupte. Dans l'absolu toutefois, elle parvient sans peine à se faire oublier et n'altère en rien l'insonorisation très poussée de l'habitacle. Elle va de pair avec un amortissement qui privilégie le confort sans générer de roulis désagréable pour autant.

Une dotation de série très généreuse

C'est faire preuve d'humilité que de renoncer à prétendre détrôner les Série 5, A6 et Classe E. Encore fallait-il que la Lancia Thema dispose d'arguments solides pour se faire une place parmi les prétendantes.

C'est précisément le cas grâce à une présentation, à un châssis et à un moteur Diesel conformes aux exigences de la catégorie. Sans oublier un rapport entre prix et équipement à rendre malade un comptable de chez Daimler.

C'est sur la foi de tant d'atouts et de tant de charisme que nous nous permettrons d'exhorter l'amateur d'automobiles de caractère — celui qui s'émeut du devenir de Saab aussi bien que de la disparition du V6 Alfa Romeo — d'offrir le bénéfice du doute à Lancia. Sergio Marchionne, auteur du rapprochement entre Fiat et Chrysler promet une berline 5-portes et un break compacts en 2013, ainsi qu'une concurrente de la BMW Série 3 et un nouveau Voyager en 2014. Le prix à payer en attendant ces nouvelles Lancia ? Souffrir que la Thema ressemble à une certaine cousine d'Amérique et que les Delta et Ypsilon soient commercialisées sous blason Chrysler au Royaume-Uni.

Tout bien pesé, voilà qui n'est pas cher payé pour jouir encore longtemps du privilège de rouler différent.(http://automobile.challenges)