Comme la quasi-totalité des secteurs, le marché de l’automobile est profondément modifié par la technologie. Au-delà des véhicules eux-mêmes, ce sont les façons de vendre qui sont ou doivent être réinventées. Internet, les réseaux sociaux et les technologies digitales mobiles changent de manière drastique le métier des concessionnaires et les stratégies des marques, qui tentent d’anticiper ces transformations pour rester compétitives face à l’arrivée de nouvelles tendances.
Avant de se pencher sur ces nouvelles manières de vendre des voitures, il est utile de s’intéresser aux causes de ces changements. En tête vient bien évidemment le client. Au centre du processus d’achat/vente, il a changé ses habitudes et forcé les vendeurs à s’adapter. Les nombres de visites en concessions et d’essais avant achat ne cessent de diminuer, atteignant respectivement environ 2 et 1 en moyenne. En revanche, le temps passé à faire des recherches en ligne, que ce soit via les sites des constructeurs, des vidéos, des articles d’experts ou des avis sur les forums et réseaux sociaux, a fortement augmenté puisqu’ensemble ils sont les points d’origine de la quasi-totalité des parcours d’achats. Le client qui arrive en concession est un véritable expert. Après toutes ces recherches, il connait les produits, leurs options et n’hésite plus qu’entre deux ou trois modèles. Il se rend chez le vendeur à la recherche d’un interlocuteur lui aussi expert et à même de le convaincre de franchir le pas de l’achat.
Si les constructeurs commencent lentement à soigner leur présence en ligne, ils pêchent encore par manque de suivi après une visite sur leur site d’un potentiel futur client, alors que la moitié des consommateurs déclare qu’il serait appréciable de recevoir un complément d’information par la suite, évoquant même la possibilité de fournir quelques données personnelles en échange de documentation ciblée. Les marques sont en réalité assises sur une masse de données clients énorme et n’en font rien. Le changement est en cours, et certains constructeurs contactent par exemple les personnes ayant entamé une démarche sur leur site sans aller à son terme, mais ils sont peu nombreux et il y a encore des progrès à faire en termes de parcours phygital, c’est-à-dire une transition la plus douce possible entre les parties digitale et physique du processus d’achat. Pour atteindre ce graal, les concessionnaires doivent proposer dans leurs showrooms des services d’immersion et de personnalisation proches de ceux disponibles sur internet.
Nouvelles réalités de la vente
En plus de l’expérience client, il y a d’autres raisons d’inviter la technologie dans les concessions. Les prix de l’immobilier, principalement en milieu urbain, forcent les constructeurs à revoir à la baisse leurs ambitions concernant les surfaces. Dans le même temps, les gammes de véhicules n’ont de cesse de s’élargir, sans compter les possibilités presque infinies de personnalisation pour chaque modèle. La conjugaison de ces deux phénomènes a pour conséquence logique que les vendeurs ne peuvent accueillir physiquement l’ensemble des véhicules proposés par leur marque dans leurs showrooms. S’ils ne peuvent tous être présents en tôle et en carbone, les modèles doivent l’être par d’autres moyens. Divers procédés digitaux permettent aujourd’hui de pallier ce problème et entrent petit à petit chez les concessionnaires. La tendance pourrait se résumer ainsi : beaucoup de technologie et peu de modèles présents. Certains optent par exemple pour de larges écrans et des tables permettant de configurer et personnaliser tous les véhicules de la marque selon ses envies directement en showroom ou de reprendre une configuration entamée à domicile. D’autres encore compensent les espaces réduits en faisant apparaitre les véhicules par la réalité augmentée. Si une vision en deux dimensions sur un écran géant ne suffit pas au client, voir sa potentielle future voiture en taille réelle et en trois dimensions pourrait le convaincre. C’est notamment ce que teste BMW dans certains de ces espaces d’exposition urbains. Autre réalité pour Audi, qui remplace de son côté une partie des essais sur route par des essais réalisés à l’aide de casques de réalité virtuelle Oculus.
Toujours dans le monde digital, il serait impossible de ne pas mentionner le commerce en ligne, où de nouvelles formes de vente se mettent en place. Si le client ne se déplace plus pour voir les modèles et rencontrer les vendeurs, les vendeurs se doivent de déplacer les modèles à la rencontre des clients. Bien que l’Europe et l’Amérique du Nord restent des marchés où une large majorité de consommateurs aime voir sa nouvelle voiture au moins une fois avant de l’acheter, les pays émergents sont quant à eux très friands des web shops que les marques mettent à leur disposition pour commander un nouveau véhicule sans jamais avoir à quitter son salon.
Des test drives innovants
En Chine, Alibaba a présenté en décembre dernier son concept de distributeur de voitures, le Tmall Auto Vending Machine. En scannant n’importe quelle voiture dans la rue avec l’application Taobao, l’utilisateur peut ensuite choisir les options qu’il veut et se voit proposer un test de ce véhicule, réservé avec un simple selfie. Le jour-J, il se rend au distributeur géant et débloque son test-drive de trois jours grâce à la reconnaissance faciale.
Pour éviter les abus, ce processus ne pourrait être utilisé qu’une fois par modèle et pour cinq voitures maximum par période de deux mois. En outre, il serait accessible uniquement aux citoyens disposant d’un bon crédit social. Evidemment, le but est de pousser l’utilisateur à acheter le modèle qu’il a essayé, directement depuis l’application. Alibaba veut installer une douzaine de distributeurs en chine avant la fin de l’année. Le premier «Super Test Drive Center» a été inauguré fin mars à Canton afin de servir d’essai et sera bientôt suivi d’autres à Hangzhou et Pékin. Sur cinq étages, le distributeur accueille 42 véhicules Ford, la marque américaine ayant un partenariat avec le géant du web depuis plusieurs années.
Sur le vieux continent, l’agence luxembourgeoise Vanksen a créé pour la sortie de la nouvelle Citroën C4 Cactus un chatbot sur Messenger conçu comme un Assistant de Conduite Personnel du nom de Ben. Ben permet à son utilisateur de s’immerger dans une simulation de test drive sur les routes de Suisse grâce à un storytelling augmenté. Naturellement, l’effet n’est pas comparable à un véritable essai. L’objectif n’est de toute façon pas là. En effet, Ben crée une certaine proximité et expose son interlocuteur de façon directe et privilégiée à la marque et au modèle en question pour générer chez lui une préférence.
Les startups comme partenaires
La transformation phygitale du secteur ne s’arrête pas là. Plus que jamais, les deux mondes se mêlent et se complètent. Puisque nous avons vu que pratiquement tous les internautes consultent des avis en ligne avant achat, la startup Fidcar permet aux constructeurs de soigner leur e-réputation en recueillant les commentaires disponibles sur la toile pour améliorer les performances de la marque dans certains domaines, tout en optimisant son référencement. Si l’internaute est tenté suite à ses lectures de passer à la phase de tests, la startup Demooz peut intervenir pour faciliter la rencontre entre le prospect et un client-ambassadeur de la marque. Lancée en 2015, celle-ci se limitait aux produits high-tech mais se diversifie dans l’automobile, en commençant par la gamme électrique de Citroën, qui teste cette formule depuis la fin 2017. Demooz briefe et forme brièvement les clients-ambassadeurs sans biaiser leur avis sur le véhicule. Ils sont par la suite remerciés pour le temps via un système de récompenses.
En septembre 2017, Honda avait expérimenté un système similaire pour une durée limitée. L’opération #HondaNextDoor installait des concessions provisoires dans les garages de particuliers pour rapprocher ses modèles des clients potentiels puisque ceux-ci ne viennent plus à eux. Toujours dans le même ordre d’idée, Qarson, distributeur multimarques en ligne présent depuis 2009, a plus récemment décidé d’ouvrir des concessions digitales dans des centres commerciaux. Ainsi, le consommateur ne doit pas faire le tour des showrooms mais a accès au catalogue de 1600 modèles en un seul endroit, pendant sa séance de shopping hebdomadaire. Pour l’instant, Qarson dispose de onze points de ventes et entend étendre son dispositif cette année.
Une fois la vente conclue ou en tant que dernier argument pour convaincre l’acheteur, certains essayent de faire de l’arrivée d’une nouvelle voiture un événement particulier en la livrant au domicile du client ou à tout autre endroit de son choix. C’est, par exemple, le cas des startups Expedicar et Parkopoly.
Enfin, il ne faut pas oublier les nombreuses offres de carsharing qui fleurissent dans les villes et sont de plus en plus visées par des partenariats avec les constructeurs, mais aussi l’arrivée prochaine des services de taxis autonomes à la demande. Ces phénomènes vont encore pousser les marques et leurs concessionnaires à se réinventer, car pour une partie de leur client, la voiture est en passe de devenir un service à utiliser en cas de besoin en lieu et place d’un objet à posséder.
Florent Ducat
Cet article a déjà fait l'objet d'une publication dans BEAST #11 / www.beastmagazine.lu