Le rappel fait partie de la vie du véhicule !
Mis récemment en vedette suite à la campagne mondiale orchestrée par Toyota, le rappel fait partie intégrante de la vie d'un véhicule. Mais la France et les constructeurs présents sur le marché ne jouent pas encore franc-jeu. Grâce à la bienveillance des autorités.
Aux États-Unis, en Angleterre, en Suisse, on ne fait pas dans la demi-mesure. Tout rappel ou action technique nécessaire à un véhicule doit être signalé aux autorités par les constructeurs. Les pouvoirs publics se chargent ensuite, le plus souvent via un site Internet, d’en faire la publicité auprès du grand public. En France, l’autorité théoriquement responsable est la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes(DGCCRF), plus couramment appelée Répression des fraudes. L’argus l’a sollicitée afin de connaître les raisons pour lesquelles aucun rappel n’était porté à la connaissance du public. La réponse est on ne peut plus claire: «Les autorités communautaires chargées de la surveillance du marché laissent chaque état membre libre de la publicité qu’il donnera aux rappels effectués par les entreprises. La France a fait le choix de ne pas publier l’intégralité des rappels en laissant les entreprises, qui s’efforcent de résoudre le problème, de communiquer efficacement». Une posture dommageable à bien des égards. Car, outre le défaut d’information sur tel ou tel modèle auprès du public, on prive aussi celui-ci d’une connaissance plus fine des rappels. Difficile en effet pour l’automobiliste moyen de faire la part des choses entre ceux qui s’avèrent importants et ceux qui le sont moins. Souvent, le rappel devient une simple «action d’entretien»... Le type de campagne le plus connu est celle dite de sécurité qui concerne une anomalie pouvant mettre en cause la vie des occupants du véhicule. Dans ce cas, les constructeurs ne mégotent pas et préviennent les clients par courrier avec accusé de réception (celui-ci servant de preuve devant un tribunal). Cette campagne fait suite à un défaut constaté chez un fournisseur, sur la ligne de montage, ou à des remontées provenant des réseaux d’après-vente. Dès que le rectificatif est prêt et que les pièces sont approvisionnées, les réseaux ont pour mission de rapatrier l’ensemble des véhicules concernés. Certains constructeurs les y incitent financièrement, via des primes annuelles afin d’atteindre l’objectif des 100%. Ce premier type de campagne n’est pas le plus fréquent. Les rappels interviennent parfois avant la livraison du véhicule, sans que le client ne le sache. Le plus souvent, le rappel, qui devient une « mise à jour technique» ou une « action d’entretien» se déroule lors d’un simple passage chez le garagiste. Si certains constructeurs (Citroën et Peugeot) en informent leurs clients par simple courrier, d’autres se gardent bien de le faire (groupe Volkswagen, Opel, groupe Fiat...). Avant 2000, reconnaître un défaut présentait un caractère honteux pour les constructeurs La campagne de confort concerne des mises à jour électroniques, des anomalies mécanique ou d’équipements, ne remettant pas en cause la sécurité, mais la fiabilité. À l’image d’un produit alimentaire, elle est soumise à une date de péremption. Preuve que cette pratique devient courante, Opel a diligenté sur l’Opel Insignia treize actions techniques... et aucune campagne de rappel. Pis encore, certaines de ces campagnes ne sont réalisées que sur réclamation du client (cas de la Hyundai i30). Outre la baisse du coût de la garantie pour le constructeur, l’un des objectifs est de récompenser la fidélité des clients, voire de reprendre contact avec ceux-ci. La perception d’une campagne de rappel a bien évolué en un peu plus de dix ans. Avant 2000, reconnaître un éventuel défaut présentait un caractère honteux pour le constructeur. De ce fait, le sujet faisait l’objet d’une véritable omerta, et les constructeurs se gardaient bien de dire que les véhicules étaient rectifiés, lors du passage en atelier. Puis la législation européenne s’en est mêlée, obligeant les marques à prévenir le ministère des Transports de leurs pays respectifs lorsqu’un défaut était constaté. Pour se justifier auprès de leurs clients, les fabricants ont brandi l’argument de la transparence et, au final, en sont sortis grandis en bons communicants qu’ils sont.
Paroles de pros...
«Une opportunité de fidéliser le client...»
Jean-Philippe Juvin Directeur de Renault République (Paris XIe) Le postulat de départ est simple : «Des rappels, nous n’en avons pas tant que ça ! » sourit le directeur dans son bureau immaculé. Pour autant, les voitures qui subissent des évolutions techniques sont monnaie courante. Mais à la différence d’une campagne de rappel, l’évolution technique ne donne pas lieu à un courrier chez Renault : « Cela apparaît juste sur la facture et c’est toujours gratuit » indique Jean-Philippe Juvin. Voici le processus : dès la prise de rendez-vous du client, et pour peu qu’il soit capable d’annoncer son numéro d’immatriculation, le garage consulte un fichier lui indiquant les mises à jour à effectuer sur le véhicule. Du coup, le temps imparti à la mise à jour technique est pris en compte d’emblée. Ensuite, le client dépose son véhicule, et le processus habituel suit son cours… « Aujourd’hui, les espaces entre les révisions s’allongent, et malgré tous les efforts en termes de marketing, l’opération de remise à jour est une opportunité de fidéliser le client » souligne encore le directeur. Tout est dans l’art de présenter la facture, et de placer opportunément les yeux du client sur la ligne de l’opération gratuite qui a été effectuée… Ce qui fait dire à Jean-Philippe Juvin qu’un rappel ou une mise à jour sont autant d’occasion de créer du lien avec les utilisateurs : « Je considère que cela améliore ma démarche, j’essaie vraiment de le positiver ». «Récemment, nous avons rappelé des véhicules datant de 2000...» Christophe Lefèvre Ingénieur technique et qualité de Honda France Pas de tabou, le discours est aussi clair que l’atelier : « Je ne connais pas de constructeur qui ne procède pas à des campagnes de rappel » commence Christophe Lefèvre. Chez Honda, ce serait en moyenne « une tous les deux mois ». Mais comme il a été dit par ailleurs, il y a campagne et campagne.
La première, celle qui concerne un organe de sécurité du véhicule, est relativement rare, et fait l’objet de l’envoi d’une lettre recommandée. La deuxième, la campagne dite de confort, est légèrement plus fréquente… et fait aussi l’objet d’un recommandé. Une politique « propre à Honda France » qui essaie à chaque fois de ramener vers les ateliers un maximum de véhicules. Toutefois, le taux de 100% de retour n’est jamais atteint : « La campagne de rappel pour la Civic a atteint 92% de retour » explique Christophe Lefèvre, faisant allusion à une campagne très récente. En revanche, « sur des véhicules de 8 ans, avoir 50% de retour après un recommandé et deux lettres de relance, c’est énorme» concède l’ingénieur. Honda ne rechigne pas non plus à faire revenir quelques modèles bien plus anciens : « Récemment nous avons rappelé des véhicules datant de 2000… et non, ce n’est pas anormal ; cela figure même dans les clauses de garantie ! »
Mais au fait, quel est le point de départ d’une campagne de rappel ? « Il s’agit de la technique du scrutage » d’après Christophe Lefèvre. Si le constructeur, ou plutôt sa filiale, se rend compte que le même problème concerne au moins 1% de tel modèle encore sous garantie, une équipe technique est envoyée afin de disséquer le problème. Ensuite, « on le fait savoir à l’usine, qui corrige, et cela va vite, quelquefois dans la journée même ». Un souci de qualité et de satisfaction pour le client, mais aussi « des économies de garantie pour Honda ».Pour en savoir plus...
Aux États-Unis, la pédale fait scandale Dans le monde de l’automobile, on parle de cette histoire en l’appelant la "pedal'gate" en référence à l’affaire du Watergate qui avait contraint le président Nixon à la démission. En réalité, il y a même deux affaires en une : le tapis, puis la pédale. Le problème du tapis qui se coince sous la pédale d’accélérateur débute en novembre 2009: un communiqué de la NHTSA, l’autorité fédérale américaine qui gère tout ce qui a trait à la route, fait savoir que Toyota procède depuis déjà un mois à l’éradication du problème.L’autorité implore en outre tous les possesseurs de Toyota concernées de retirer illico les tapis achetés en accessoires de l’habitacle. Toyota, de son côté, fait savoir qu’il installera sur les modèles rappelés un système électronique permettant de couper les gaz en cas de forte pression sur les freins. Même si le système n’est pas forcément nécessaire, Toyota parle d’un «gain de confiance supplémentaire» pour les clients. Fin du premier acte. Trois mois plus tard, c’est l’histoire de la pédale d’accélérateur qui se coince. Elle est officiellement connue en février 2010 de la NHTSA, qui dit avoir reçu «124 plaintes de consommateurs, dont quatre prétendent avoir été victimes d’un accident». Les véhicules visés, les Toyota Prius et Lexus IS250, seraient en effet victimes d’un accélérateur feignant à la remontée. La NHTSA rappelle aussitôt 2,3millions de véhicules aux États-Unis, tandis que 1,8 million de voitures seront rappelées en Europe. L’affaire aurait pu en rester là si l’autorité fédérale ne s’était aperçue que Toyota était au courant du problème... depuis quatre mois. En réalité, cette défaillance était connue, du moins à L’argus, depuis 2008 et preuves à l’appui. Conséquence: grosse colère de la NHTSA, et 16,3millions de dollars d’amende infligés au constructeur japonais, soit le maximum possible dans ce cas précis. En effet, les constructeurs ont obligation de déclarer à l’organisme américain l’ensemble des problèmes relatifs à la sécurité de leurs modèles. Outre le vent de folie qui a soufflé sur le pays à ce moment-là (manifestations, appel à ne plus utiliser des Toyota qui seraient devenues des dangers ambulants, mobilisation de chercheurs de la Nasa pour enquêter sur les voitures incriminées), le point à retenir est sans doute l’épilogue qui est en train de se dessiner : «L’autorité américaine, dans un récent rapport d’étape, a considéré qu’une erreur du conducteur était la probable cause de l’accélération subite des véhicules Toyota incriminés, confirmant les suppositions émises par les psychologues et ergonomistes américains », pouvait-on lire dans un quotidien japonais la semaine dernière… Les plus gros rappels de l’histoire Si, de manière cumulée, Toyota a lancé depuis le début de l’année des campagnes de rectification sur environ 12 millions d’exemplaires de différents modèles, sa première opération, qui portait sur 3,8 millions de voitures et la fameuse pédale d’accélérateur qui a tant fait scandale, était loin du record établi en 1996 par Ford. À l’époque, le constructeur américain avait été obligé de rectifier 8,7 millions de voitures construites entre 1987 et 1993, alors que le parc mondial était bien moins important qu’aujourd’hui. En cause, le barillet de Neiman qui, suite à un risque de court-circuit, pouvait s’enflammer. Depuis, de nombreuses campagnes de rappel dépassant le million d’exemplaires ont été organisées outre-Atlantique, mais sans le déchaînement médiatique qu’a suscité « l’affaire » Toyota. Ainsi, en mars dernier, General Motors a par exemple dû rectifier 1,3 million de voitures pour un potentiel problème de direction, et Nissan s’est trouvé confronté à une défaillance sur les freins qui l’a conduit à rapatrier dans ses ateliers plus de 540 000 voitures. Plus loin dans le passé, d’autres constructeurs américains comme Chrysler ou Dodge ont été contraints d’organiser des campagnes géantes portant parfois sur plusieurs millions de voitures. En France, les plus grosses campagnes sont moins spectaculaires, Peugeot, Renault ou Citroën n’étant pas présents sur des gros marchés comme les États-Unis, mais restent néanmoins parfois conséquentes (plusieurs centaines de milliers d’exemplaires) si l’on rapporte les chiffres à la flotte en circulation. Pour conclure, il convient donc d’admettre que Toyota n’a pas l’exclusivité des campagnes XXL, et que même si le japonais a fauté, les mésaventures vécues ces derniers mois découlent également d’un phénomène contextuel, où les intérêts de chacun ont été mis à mal par une concurrence encore plus rude en temps de crise ; sans parler de la frustration qu’a sans doute généré Toyota aux États-Unis en détrônant General Motors de sa place de premier constructeur mondial.
Sources: L'argus