C'était un des temps forts de la visite de Jean Todt, invité par l'ACL, à Colmar Berg. Lorsqu'on lui demandait quelles pistes étaient les siennes en matière de régulation des véhicules autonomes, la réponse fut autant imagée que cinglante. Oui, il y a des voitures qui se font remarquer à San Francisco, mais d'ici à les croiser au Luxembourg avant 20 ans, c'est très fantaisiste... Ce n'est pas parce qu'on a envoyé un homme sur la Lune il y a cinquante ans qu'on y va dorénavant chaque weekend en famille. Question suivante.
Quelques jours plus tard, Jerry Brown, gouverneur de l'état de Californie, signait un décret autorisant les véhicules autonomes à se déplacer sur les routes du territoire. À condition toutefois de disposer d'un permis spécial, qu’un conducteur valide soit présent dans l’habitacle pour prendre le relais en cas de défaillance du système, et que le constructeur souscrive une assurance de 5 millions de dollars. Dans la foulée, le géant de Mountain View lançait une centaine de prototypes en production, la commercialisation de masse étant prévue pour 2020. Une date également retenue par Toyota, Daimler, Nissan, Volvo,... pour ne citer qu'eux.
Bref, c'est dans 5 ans, et en 5 ans, il peut se passer beaucoup, beaucoup de choses. C'est le temps qu'il a fallu à Uber pour s'implanter dans une centaine de villes, puis provisionner 375 millions de dollars afin d'acquérir une première flotte de 2500 Google Cars. Cinq années, cela va très vite, cela semble très court, mais cela peut aussi sembler très long selon la question que l'on se pose.
À ce titre, une des plus compliquées est certainement de savoir jusqu'où laisser la main à l'intelligence artificielle. On peut s'attendre de sa part à un risque zéro en matière d'incivisme, de somnolence ou d'alcoolémie, une baisse des émissions et du nombre de mots sur les routes, sans la possibilité de travailler en trajet sans risque de distraction, constituant au passage un point positif pour les employeurs.
Mais quid en cas de choc inévitable ? L'exemple en vogue aujourd'hui sur les réseaux sociaux est celui d'un ordinateur de bord face à un choix entre un choc frontal avec un camion, ne vous laissant aucune chance à vous et votre famille à bord, et un choc potentiel avec une voiture de tourisme en passant sur une autre voie. Dans ce dernier cas, il y a un risque pour vous comme pour les occupants de l'autre voiture, donc un nombre de blessés ou de décès supérieur. L'IA vous sacrifierait certainement, par simple calcul.
C'est tout le paradoxe d'un monde automobile à deux vitesses, et plus complexe que jamais. Un nouveau paradigme économique en gestation sous nos yeux, où nouveaux entrants, nouvelles réglementations et nouvelles technologies semblent aux antipodes du concept originel de la voiture passion, de l'aventure humaine et mécanique, dilués dans l'océan des problèmes de mobilité et de sécurité. Un monde où on ne verrait plus que des voitures électriques sinon autonomes côtoyer des voitures de sport ou de prestige, accessibles aux classes supérieures, mais portant un sticker " conduire tue".
Un univers déroutant pour nombre d'automobilistes qui pourraient se rabattre de plus en plus sur les voitures de collection, et à juste titre : les prix ont augmenté de près de 400% entre 2002 et 2013 selon le Financial Times. C'est plus qu'une tendance : un refuge. Le dernier à réconcilier l'émotionnel et le financier.
Jean Todt a raison. On a marché sur la Lune puis on s'en est un peu désintéressé. Mais la charge émotionnelle et l'intemporalité d'une Ford Falcon ou d'une Ginetta G4 seront encore là dans 5 ans, si ce n'est dans 5 siècles. D'ici là, peut-être devrons-nous séparer la mobilité professionnelle, froide et productive, où le temps devra être rationalisé, de la mobilité plaisir, où le temps sera savouré.
Fabien Amoretti